I.Des facteurs biologiques

 

   Depuis plusieurs années, suite à l'explosion de victoires et de records des sprinters noirs, plusieurs études ont été menées pour découvrir d'éventuelles différences physiques qui pourraient expliquer cette domination. Ici figurent les principales observations qui ont été faites.

  

ACTN3

  

   L’ACTN3 est un gène possédé par tous. Il a une influence sur une protéine qui dope les fibres musculaires de notre organisme, et qui crée des différences de prédisposition au sprint chez les individus selon ses différentes versions. Les voici :

 

-XX TYPE : L'athlète possède le variant R577X sur les copies du gène ACTN3, et selon les études faites par l'Institut du Sport Australien (AIS), il sera naturellement plus endurant. On dit que le gène est actif. Mauvais pour le sprint... 

 

-RX TYPE : Le variant n’est présent que sur une copie du gène. L'athlète bénéficie donc de "la double combinaison". C'est-à-dire qu'il sera prédisposé aux épreuves d’endurance, tout en étant performant dans les épreuves nécessitant de la puissance et de la vitesse, telles que le sprint. On dit de ce gène qu’il est silencieux. Bon, c'est déjà mieux.

 

-RR TYPE : Il ne possède pas le variant R577X sur aucune des deux copies de ce gène. Cette absence signifie qu'il fera preuve à la fois d’une grande rapidité, mais aussi d’une remarquable puissance. Dans ce cas le gène est également actif. Et bien voilà !

 

   Les avantages apportés par ce gène, lorsqu’il est actif, n’ont pas une influence notable sur les performances d’athlètes de niveau moyen. En revanche un gène actif peut faire la différence lorsqu’il s’agit de performances de haut niveau. Ceci est confirmé grâce aux études de Daniel MacArthur de l’Institut de recherche neuromusculaire de Sydney : « Seulement un petit nombre des dizaines de sprinters de niveau olympique étudiés à ce jour disposaient de la version non-compétitive du gène ». Le chercheur à l'Université des West Indies, Rachel Irving vient apporter un élément de réponse à notre problématique : « Une analyse de l'ADN de 200 Jamaïquains de niveau olympique montre que 80 % disposent du variant RR ». On en déduit assez naturellement qu'il existe un facteur génétique non négligeable.

 

 

Le centre de gravité

 

 

   Selon Adrian Bejan, professeur d’ingénierie à l’université de Duke, la différence de performances au sprint entre les athlètes noirs et les athlètes blanc se fait beaucoup au niveau du centre de gravité.

 

    D’après une étude menée par lui-même et son équipe le centre de gravité des noirs tend à être plus haut que celui des blancs. Selon lui ces différences sont d’origine biologique.

 

  En effet, les noirs tendent à avoir des membres inférieurs plus longs et de plus faible circonférence, ce qui signifie que leur centre de gravité sera plus haut comparé à celui des blancs de même taille. Adrian Bejan et toute son équipe de chercheurs, après de nombreuses études, sont arrivés à la conclusion que le centre de gravité des noirs était en moyenne 3% plus haut que celui des blancs. A partir de cette différence corporelle, les chercheurs ont calculé que les coureurs noirs étaient 1,5% plus rapides que les blancs. Cette différence pourrait sembler faible, mais pas quand on remarque que les records du monde de sprint se jouent à quelques fractions de secondes.

   Ce gain de vitesse s’explique par le fait que la locomotion lors d’une course est essentiellement un processus de chute en continu vers l’avant. Or lorsque la masse corporelle tombe vers l’avant de plus haut, elle tombe plus vite et augmente donc la vitesse de course. 

 

 

Les fibres musculaires

 

 

   Si la mutation génétique due au gène ACTN3 a pour but de « doper » les fibres musculaires, il existe un autre point important à traiter : la répartition de ces dernières. Les fibres musculaires sont les composants principaux d’un muscles. Le muscle peut se contracter lorsqu’elles se rétrécissent. Il existe plusieurs sortes de fibres. Pour ne pas rentrer dans des détails trop fastidieux, penchons nous sur les deux principales :
 - Les fibres 1, fibres dites lentes, de couleur rouge, ont une faible vitesse de contraction et peu de force, mais elles ont une grande endurance. Elles sont utilisées pour des efforts de faible intensité mais peuvent être mobilisées longtemps : ce sont les fibres adaptées à la course de fond (effort peu violent et prolongé).
 - Les fibres 2b, blanches et dites rapides pour leur grande vitesse de contraction et leur grande force, sont utilisées lors des efforts violent tels que le sprint. En revanche, ces fibres sont peu endurantes.
   Normalement, la répartition de ces fibres est équitable. Or, il s’avère que les Noirs d’Afrique de l’Ouest possèdent une proportion plus grande en fibres rapides que les Blancs, ce qui leur proférerait une plus grande explosivité. Cette différence provient de l’hérédité de l’athlète et des fibres lentes ne peuvent pas se transformer en fibres rapides. Et même si un entraînement adapté chez un sujet non prédisposé au sprint aura une petite influence sur leur proportion dans ses muscles, il ne pourra pas atteindre le niveau de prédisposition d’athlètes noirs possédant cette particularité. La différence de proportion des fibres musculaires chez les athlètes peut donc jouer un rôle important dans des courses qui se jouent au centième de seconde près. 
 

Le réflexe rotulien

 

 

   Dès leur plus jeune âge (5-6 ans), les enfants noirs originaires d’Afrique de l’Ouest se montrent très bons en sprint, en saut en longueur, et en saut en hauteur, des activités qui nécessitent une courte détente de puissance. Une étude réalisée en 1976 par les chercheurs canadiens Milne, Seefeldt et Reuschlein a en effet révélé que les enfants d’origine africaine se montraient plus rapides sur une course d’une trentaine de mètres que les Blancs. A l’adolescence, les Noirs ont des réflexes plus rapides. Le réflexe rotulien en est la principale illustration. Chez les noirs, le réflexe rotulien est en effet plus rapide que chez les Blancs. Expliquons. Quand on percute le tendon rotulien, qui relie le tibia au quadriceps – chez le médecin par exemple - on stimule un neurone sensitif qui transmet un influx nerveux à la moelle épinière. Les nerfs moteurs acheminent ensuite le signal au muscle qui se contracte, entraînant une extension de la jambe. Replaçons nous dans le contexte d’un athlète au départ d’un 100 mètres. Au moment où il le décide – c’est-à-dire au moment où le starter donne le départ – ses quadriceps se contractent, tirant ainsi sur le tendon rotulien qui fait s’étendre la jambe. Les Noirs ayant un réflexe rotulien plus rapide que les Blancs, cette action de contraction est théoriquement réalisée plus vite. On peut donc imaginer que les sprinteurs Noirs peuvent « jaillir » plus vite des starting-blocks que les autres. De plus, on peut supposer qu’ils peuvent contracter leurs quadriceps plus de fois que les autres athlètes et avoir par conséquent une fréquence (nombre de foulées par unité de temps) plus importante. Et c’est ce que confirme une observation minutieuse de vidéos de courses de haut niveau visionnées au ralenti. En comparant le nombre de foulées des athlètes lors d’un 100 mètres, on s’aperçoit que s'il arrivent en même temps (ou presque), les sprinters noirs en font plus que les Blancs - de 1 à 2 supplémentaires. On peut donc conclure sur ce point en disant que le réflexe rotulien peut être un facteur physique déterminant pour notre problématique.
 

 

   Voici deux vidéos au ralenti qui illustrent l'article sur le réflexe rotulien : la première date de du record de France de Lemaître en 2010, la seconde de l'ancien record du monde de Maurice Greene à Athènes en 1999. Sur la première, Lemaître court au couloir 4. Les deux athlètes qui courent à ses côtés (couloir 3 et 5) sont noirs. L'athlète du couloir 5 (Martial Mbandjock) a fait une foulée de plus que Lemaître lorsque ce dernier arrive. Au couloir 3, l'autre en a fait deux de plus. Si elle consiste en une preuve, cette plus grande fréquence des foulées ne paye pas ici, car Lemaître en effectue de plus longues (plus grande amplitude). Mais maintenant la deuxième vidéo : cette fois-ci, Maurice Greene effectue des foulées largement plus rapides que l'athlète blanc du couloir 2 (à sa gauche) : alors que Greene franchit la ligne d'arrivée, l'autre, distancé, en a fait deux de moins, et... on voit le résultat !

 

La musculature

  

   Il est évident pour quelqu'un qui suit un peu les meetings d'athlétisme ou les grands rendez-vous internationaux que les athlètes noirs sont plus musclés que leurs concurrents blancs (attention cela vaut pour les sprinters originaires d'Afrique de l'Ouest, les Kenyans et Ethiopiens étant inversement plutot petits et fins) : en effet ils possèdent généralement des épaules plus larges, des muscles des bras et du buste plus développés, des cuisses plus grosses.

   Ces caractéristiques, issues de la génétique, et d'une sélection naturelle qui a gardé les individus les plus « forts », présentent un avantage non négligeable dans le sprint moderne : lors de la course, les muscles des jambes ne sont pas les seuls à fonctionner. Les actions des bras assurent un équilibre dynamique en synchronisant leur oscillation de façon opposée avec elles. Les actions des bras participent à la propulsion en augmentant l'effet de pression sur les appuis du coureur, puis elles allègent ces derniers en fin d'impulsion. Les bras contribuent donc à l'équilibre et la propulsion du sprinteur. Le gainage des muscles du tronc et du bassin (notamment les abdominaux), combiné a une grande souplesse des hanches, permet d'optimiser l'effet propulsif des appuis, pour entrainer le corps vers l'avant. Enfin les muscles des jambes, des fessiers au muscles des pieds, ont la fonction évidente qu'on leur connait : se contracter pour faire avancer le coureur. C'est pour cela que les sprinteurs de haut niveau consacrent un temps important à la musculation. Et les noirs possèdent une plus grande prédisposition à être musclés que les blancs.

   Cependant, Usain Bolt, le recordman du 100 mètres et 200 mètres, fait figure d'exception. A l'inverse des autres jamaïcains (Asapha Powell par exemple, l'ancien recordman du 100 mètres), il est grand (1,96 m) et plutôt longiligne. Pour beaucoup de spécialistes de la discipline, avant l'arrivée de Bolt, il était impossible qu'un athlète aussi grand puisse battre le record du monde, car il n'aurait pas pu sortir des starting-blocks suffisament rapidement. Or Bolt, après entrainement intensif, a su améliorer ses départs, de sorte qu'aujourd'hui, s'ils ne sont pas son point fort, ils ne le pénalisent plus. Par contre, ses jambes de géant lui permettent de faire des foulées plus longues, qui lui font finir la course en 41 foulées contre 45 en moyenne pour les autres (cette grande taille annule exceptionnellement, pour Bolt, la théorie du réflèxe rotulien plus rapide, exposée plus haut). Mais malgré cette exception, il n'empêche que la réussite au 100 mètres est favorisée par des muscles puissants, plus présents chez les noirs que chez les blancs, leur conférant ainsi un possible avantage dans la discipline reine.

 

 

 

Encore Christophe Lemaître, mais cette fois avec Asafa Powell.